Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 1, 1869.djvu/19

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un commun accord et d’un avis unanime, mon livre fut refusé, et comme dangereux, et comme insipide. « Cet homme creuse, creuse, disait mon Aristarque ; il soulève des questions plus grosses les unes que les autres : cela vous donne le vertige, cela vous coupe la respiration, cela vous assomme. Après avoir vingt ans durant fait la guerre à la propriété, au gouvernement, à l’Église, à la Bourse, aux économistes, le voici qui, à propos de la guerre et de la paix, s’en prend à la jurisprudence et qui tombe sur les gens de loi. C’est une charge à fond contre la politique de l’Empereur !… » Passe pour les gens de loi ; quant à la politique de l’Empereur, c’est juste le contraire qui est la vérité. J’ai expliqué plus haut que j’avais entrepris, en partie, mon ouvrage, afin de me démontrer a moi-même, au point de vue des principes, la parfaite régularité de la dernière guerre. Mais la peur, et aussi l’esprit de corps, font voir les choses a l’envers.

Je suppose que le prudent conseiller ajouta, en prenant le libraire par les sentiments : « Il ne saurait convenir à une maison qui se respecte de prêter son ministère a de pareilles diatribes. Nous ne sommes plus en 1848 : grâce au ciel, ces temps sont loin de nous. Laissons ces génies excentriques, voués à un juste oubli, et dont les noms, épouvantails usés, n’excitent plus que le dédain et l’impatience. »

Après ce rapport d’expert, il eût été peu digne à moi d’insister. Je me retirais fort perplexe, lorsque je rencontrai M. Hetzel, justement un homme de l’exil, à qui la qualité de suspect ne pouvait être une fin de non-recevoir contre un écrivain, et qui, me sachant condamné en première instance, a bien voulu se charger, vis-à-vis du public, de mon appel.

J’ai voulu citer ce fait, me dénoncer moi-même, afin d’avertir le gouvernement impérial que, s’il est des mo-