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citoyens ne retrouveront pas plus la saveur socialiste que le goût du terroir belge.

Passons au livre.

C’est ici que j’ai pu juger combien est triste la position d’un homme qui, engagé au service d’une cause vaincue, s’est attiré pour elle. quelque démêlé avec le pouvoir. On ne croit plus a sa parole ; on n’a pas foi a ses jugements ; on se méfie de ses intentions ; on voit des conspirations jusque dans ses plus légitimes réserves. Admettant qu’il ait fait un ouvrage inoffensif, on prétend que cet ouvrage, sortant du caractère et des aspirations de l’écrivain, ne saurait avoir pour le public le moindre intérêt.

Je rougirais d’entretenir le public de mes tribulations d’écrivain à idées suspectes, aux prises avec la terreur des libraires, s’il ne fallait y voir un trait de notre époque, curieuse encore, mais singulièrement affaissée, et de cœur et d’intelligence. D’abord on me fit entendre, du reste avec tous les ménagements imaginables, qu’on ne se chargerait de la publication de mon manuscrit que sur l’avis d’un conseil, choisi parmi les avocats les plus distingués du barreau de Paris. Quelque pénible que fût à mon amour-propre cette condition d’une censure préalable, je m’y soumis néanmoins, m’engageant même a rectifier, corriger, amender, refaire, ajouter, supprimer, tout ce qui me serait indiqué par mon censeur.

Mais ce n’était pas à des corrections que je devais m’attendre, chose que l’inquisition ne refusa jamais a un hérétique : c’était à une condamnation absolue, sans appel. L’honorable avocat, par des motifs dont je n’ai pu qu’entrevoir la substance, conclut nettement pour le rejet.

Il faut croire, et le. lecteur en jugera, que sur certains esprits l’apparition d’une idée nouvelle produit l’effet d’un spectre. Je ne sais quels monstres l’éditeur et son conseil découvrirent en mon manuscrit, toujours est-il que,