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dissolution, ils n’ont pas su voir non plus que la perte des libertés et des droits était un retour au droit simple de la force.

Dans une société parvenue à un degré élevé de civilisation, la force qui abuse se diminue elle-même et tend à se perdre. En violant les droits nés sur sa tige, elle rend le sien odieux, et compromet sa propre existence. En cela consiste l’horreur de la tyrannie, tout à la fois suicide et infanticide.

Si chaque faculté, puissance, force, porte son droit avec elle-même, les forces, dans l’homme et dans la société, doivent se balancer, non s’anéantir. Le droit de l’une ne peut pas préjudicier au droit de l’autre, puisqu’elles ne sont pas de même nature, et qu’elles ne sauraient se rencontrer dans la même action. Tout au contraire, elles ne peuvent se développer que par le secours qu’elles se prêtent réciproquement. Ce qui occasionne les rivalités et les conflits, c’est que, tantôt des forces hétérogènes sont réunies et liées d’une manière indissoluble dans une personne unique, comme on le voit dans l’homme, par la réunion des passions et des facultés, dans le gouvernement par la réunion des différents pouvoirs, dans la société par l’agglomération des classes. Tantôt, au contraire, une puissance similaire se trouve répartie entre personnes différentes, comme on le voit dans le commerce, l’industrie, la propriété, ou des multitudes d’individus remplissent exactement les mêmes fonctions, aspirent au même avantage, exercent les mêmes droits et priviléges. Alors, il peut arriver, ou bien que les forces groupées, au lieu de conserver entre elles un juste équilibre, se combattent, et qu’une seule se subordonne les autres ; ou bien que ces forces divisées se neutralisent par la concurrence et l’anarchie : résultats inévitables lorsque, sous l’influence de passions impétueuses, la dignité chez l’individu, la justice dans l’État,