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Écartant donc l’idée de Dieu et de religion, en matière de science sociale de même qu’en matière de géométrie, Hobbes se demande ce qu’il y a de socialement, de juridiquement vrai pour l’homme, dans cet état où il le suppose livré à la seule inspiration de son entendement, et qu’il appelle, par opposition à l’état religieux, état de nature. Et comme notre philosophe, malgré son désir de ne suivre que la raison et de s’affranchir des lisières de la révélation, n’en est pas venu cependant à séparer la conscience morale de la conscience religieuse, pas plus que les théologiens et les moralistes de son temps ne les séparaient, pas plus que ceux du nôtre ne les séparent ; comme ces deux idées, religion et morale, restent pour lui indissolublement unies, pour ne pas dire identiques, il sn répond, avec tous les théologiens de son temps et avec tous les croyants du nôtre, que, dans l’état de nature, c’est-à-dire en dehors de l’idée de Dieu et de l’influence religieuse, l’homme (l’Adam pécheur) est placé sous la loi de l’antagonisme, de l’égoïsme ; que par conséquent, n’obéissant qu’aux suggestions de son appétit, n’ayant de loi que sa volonté, il est naturellement pour son semblable un ennemi, une bête féroce, homo homini lupus, à moins que par un miracle du ciel il n’en devienne le bienfaiteur, le dieu, vel deus.

La conclusion de Hobbes ne pouvait être autre que celle-là. L’idée d’une justice immanente, la distinction de deux sortes de morales, morale religieuse et morale rationnelle, de deux espèces de droits, droit divin et droit humain, bien autrement profonde et délicate que celle du spirituel et du temporel, voire même que celle de la religion et de la raison, ne pouvait être clairement conçue du temps de Hobbes, et tout me porte à croire qu’il n’y arriva jamais.

Après cette première proposition de Hobbes, que l’homme