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Nous avons entendu l’école, interrogeons maintenant le témoignage universel, et voyons comment s’établit, dans la conscience des peuples, un sentiment tout contraire.

A l’origine, dans cet état de l’humanité appelé à tort ou à raison état sauvage, l’homme, avant d’avoir appris l’usage de ses facultés intellectuelles, ne connaît, n’estime que la force corporelle. À ce moment, force, raison, droit, sont pour lui synonymes. La mesure de la force donne celle du mérite, par conséquent celle du droit, en tant qu’entre créatures si fraîchement écloses, unies par de si rares et de si faibles rapports, il y a lieu de parler de droits et de devoirs.

La société se forme, le respect de la force grandit avec elle : du même coup, se détache peu à peu de l’idée de force l’idée de droit. La force est glorifiée, consacrée, divinisée sous des noms et des images humaines, Hercule, Thor, Samson. La population se divise en deux catégories, aristoï, optimates, littéralement les plus forts, et par extension, les plus braves, les plus vertueux, les meilleurs ; et la plèbe, qui se compose des faibles, des esclaves, de tout ce qui n’a pas la force, ignavi. Les premiers constituent le pays légal, les hommes du droit, c’est-à-dire ceux qui possèdent des droits : les autres sont en dehors du droit, exleges ; ils n’ont pas de droits ; ce sont des individus à face humaine, anthrôpoï, ce ne sont pas des hommes, andres.

Cette société d’hommes forts, d’aristocrates, forme une souveraineté, un pouvoir, deux termes qui, se prenant l’un pour l’autre, rappellent encore l’identité des deux notions, le droit et la force.

Jusqu’à ce moment les litiges, provenant de la prérogative des forces, se règlent, et les injures se réparent, par le duel ou combat judiciaire, jugement de la force. Mais bientôt, à ce combat, se substitue le prince, représentant de la souveraineté ou force collective, contre lequel nul n’est