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toujours, après chaque réforme, un abus à détruire, un vice à combattre, il se borne à chercher le mieux, le moins mauvais, et travaille à sa propre sanctification par le travail, l’étude et les mœurs. Sa règle de conduite est donc Tendance au bien-être et à la vertu ; il ne se révolte que lorsqu’il y a pour lui Tendance à la misère et à la corruption.

Ainsi, il n’y eut pas de révolution au dix-septième siècle, bien que la pensée rétrograde qui s’était manifestée en 1614 fût déjà le principe de la politique royale ; bien que, au témoignage de la Bruyère, Racine, Fénelon, Vauban, Boisguillebert, la misère fût effroyable. Entre autres motifs de résignation, il n’était pas prouvé que cette misère fût autre chose que l’effet accidentel de causes temporaires : le peuple se souvenait même d’avoir été, il n’y avait pas si longtemps, beaucoup plus malheureux. La monarchie absolue ne pouvait lui paraître, sous Louis XIV, pire que la féodalité. Il prenait patience.

Il n’y eut pas non plus de révolution sous Louis XV, si ce n’est dans la région intellectuelle. La corruption des principes, visible aux philosophes, demeura cachée aux masses, dont la logique ne sépare jamais l’idée du fait. L’expérience populaire, sous Louis XV, était loin d’être à la hauteur de la critique des philosophes : la nation supposait encore qu’avec un prince rangé et honnête homme ses maux pourraient avoir un terme. Aussi Louis XVI fut-il salué par elle avec amour, tandis que Turgot, le réformateur rigoriste, fut accueilli sans la moindre sympathie. L’appui de l’opinion manqua à ce grand citoyen : en 1776, on put dire qu’un homme de bien, qui voulait opérer pacifiquement les réformes, avait été trahi par le peuple. Il n’avait pas tenu à lui que la Révolution, prise de