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vues plus hautes : d’un sentiment unanime il a sacrifié ses griefs, et s’est prononcé, quand même, pour le régime républicain. Par cet acte il a aggravé, momentanément, ses dangers, plutôt qu’il ne s’est acquis du secours : la suite montrera si sa tactique a été heureuse.

Voilà donc le conflit engagé entre des intérêts tout-puissants, habiles, inexorables, qui, par l’organe d’anciens tribuns, se prévalent des traditions de 89 et 93 ; — et une révolution au berceau, divisée d’avec elle-même, qu’aucun antécédent historique n’honore, qu’aucune formule ne rallie, qu’aucune idée ne détermine !

Ce qui mettait, en effet, le comble aux périls du socialisme, c’est qu’il ne pouvait dire ce qu’il était, articuler une seule proposition, exposer ses griefs, motiver ses conclusions. Qu’est-ce que le socialisme, demandait-on ? Et vingt définitions différentes s’élevant aussitôt, étalaient comme à l’envi le néant de la cause. Le fait, le droit, la tradition, le sens commun, tout se réunissait contre elle. Ajoutez cet argument irrésistible sur un peuple élevé dans le culte des anciens révolutionnaires, et qui se colporte encore tout bas, que le socialisme n’est ni de 89 ni de 93 ; qu’il ne date pas de la grande époque ; que Mirabeau, Danton le dédaignèrent ; que Robespierre le fit guillotiner, après l’avoir flétri ; que c’était une dépravation de l’esprit révolutionnaire, une déviation de la politique suivie par nos pères !… Si, à ce moment, il s’était rencontré au Pouvoir un seul homme qui eût su comprendre la Révolution, il pouvait, profitant du peu de faveur qu’elle rencontrait, en modérer l’essor à son gré. La Révolution accueillie d’en haut, au lieu de se précipiter au pas de course, se fût lentement déroulée pendant un siècle.

Les choses ne se pouvaient passer ainsi. Les idées