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à un juge, et on sait pourquoi ; d’après eux encore, la propriété est un monopole dont l’existence temporaire entrait dans les vues de la Providence, et on explique quelles ont été ces vues. Mais selon eux aussi, il faut augmenter toujours le revenu des propriétaires, afin de rendre possible l’égalité des conditions. Je vais, messieurs les jurés, vous donner une idée de leurs théories à cet égard, théories que le gouvernement, bientôt aussi égalitaire que moi, a déjà commencé de mettre en pratique.

Parlons de finances.

On appelle rentier tout capitaliste qui prête à l’État, à perpétuité, une somme d’argent, moyennant 3, 4, 5 pour 100 d’intérêt. Or, la moindre somme dont l’État accepte le prêt étant, je crois, 100 fr., et la quote de l’emprunt limitant à un petit nombre de personnes l’avantage de la rente, il s’ensuit que la constitution de cette rente, toujours fort recherchée, crée un véritable privilège. Cette création date de la Convention nationale.

Mais tous les Français, d’après la Charte, sont égaux devant la loi ; en conséquence, le gouvernement, ne pouvant abolir le privilège de la rente, s’est occupé dans ces dernières années de faire de tous les Français des privilégiés au même titre, d’autant mieux que c’est les intéresser à l’ordre et à la paix publique. De là les caisses d’épargnes, où l’on reçoit de 1 fr. jusqu’à 200, et où l’intérêt se paye depuis 2 jusqu’à 4 p. 100.

Maintenant, messieurs les jurés, que l’ouvrier qui ne reçoit pas de son bourgeois tout le salaire de son travail, vienne à bout, à force d’économies, de se créer une petite rente, ne fût-elle que de 50 cent. par jour, et vous concevrez, d’une part, que cette rente formera le complément du salaire qu’il était censé gagner, et qu’il ne recevait pas tout entier ; d’autre part, que cette rente payée par l’État aux ouvriers économes étant prise sur les revenus de l’État, et ces revenus se prélevant sous forme de contribution sur les propriétaires, l’État aura fait passer une partie des revenus de ceux-ci dans la poche de ceux-là, opération qui, à la longue et avec un peu de régularité, aboutit à l’égalité de tous les revenus.