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ÉVOLUTION HISTORIQUE

binaison impossible. C’est la mort de l’art, la négation de moi-même. Vous me reconnaissez quelque talent, et vous ne voyez pas que la vérité seule me soutient ; que je serais bientôt au niveau de tant d’autres ; que mon esprit serait dépravé, ma main sans vigueur, mon pinceau avachi, si je vous écoutais. Eh quoi ! vous voulez que, pour représenter une fileuse, je prenne mon modèle sur le boulevard des Italiens ou au quartier Breda ? Indignité ! Montrez-moi des Lucrèce, des femmes de sang royal tenant la quenouille, et je vous ferai des Lucrèce ; mais je ne saurais les inventer. Ce que je vous donnerais comme tel serait de la fantaisie ? de l’idéalisme, c’est-à-dire, eu égard à nos mœurs, toujours de la prostitution. Considérez donc, je vous prie, que de nos jours la beauté humaine et digne, la vraie beauté, ne se rencontre parmi nous que dans la souffrance et la douleur ; que nous ne la trouvons presque plus dans nos mesquines passions. Voilà pourquoi mes femmes qui pleurent à l’Enterrement sont belles ; et il m’en a peu coûté, je vous jure, pour les faire ainsi ; voilà pourquoi mon Duelliste mourant est beau ; pourquoi mes jeunes gens qui échangent un franc regard d’amour en revenant de la foire sont intéressants ; pourquoi cette Demoiselle de l’Empire, respirant Vénus tout entière, brûlée de désirs, et qui semble vouloir dévorer le gazon, garde un reflet de beauté, la force de la passion lui rendant un reste