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ÉVOLUTION HISTORIQUE

aient de génie, sont à même de profiter plus que personne[1]

Pareille chose ne saurait plus aujourd’hui se produire. Notre idéal, qui est désormais l’humanité tout entière, avec ses travaux, ses succès, ses misères ; cet idéal, dis-je, n’ayant rien de surnaturel, ne pouvant plus s’imposer sous une forme pour ainsi dire orthodoxe, par conséquent commune ; s’offrant à chacun dans son infinie variété, n’est pas susceptible de produire une grande force de collectivité. Chaque artiste, tout en s’inspirant de son mieux des travaux de ses confrères et de l’étude de son modèle, reste abandonné à lui-même, et travaille sous son inspiration personnelle. Conclurons-nous de ce surcroît de difficultés, de ce changement de thème, qui, du rêve mental, étroit des dieux, nous a fait passer à la contemplation infinie de nous-mêmes, qu’il y a infériorité chez les artistes et décadence de l’art ? Ce serait prétendre que notre mécanique est inférieure à celle des Égyptiens, parce que nous ne nous servons plus du

  1. L’idéal étant subordonné à l’idée, la collectivité de l’idée entraine naturellement celle de l’idéal ; et c’est pourquoi, lorsqu’elle existe, dix mille élèves qui ont appris à dessiner comptent plus pour le progrès de l’art que la production d’un chef-d’œuvre. Non que je mette en balance le nombre et la qualité ; mais dix mille citoyens qui ont appris le dessin forment une jouissance de collectivité artistique, une force d’idée, une énergie d’idéal, bien supérieure à celle d’un individu, et qui, trouvant un jour son expression, dépassera le chef-d’œuvre.