Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mœurs et les formes juridiques que Tibère ? César triomphe : c’est le peuple qui triomphe en César. César est l’enfant du peuple, son poupon, son nourrisson, son mignon, pupus, pullus, alumnus, dit Suétone dans Caligula. La personne de César est sacrée, celui qui l’offense offense la majesté du peuple.

Certes, jamais incarnation de l’idéal, jamais idolâtrie, ne fut posée, soutenue, développée plus vigoureusement que celle de l’empereur. On reconnaît ici le grandiose romain. Mais la raison pratique ne se gouverne pas par l’idéal, et dès que celui-ci s’établit à la place du droit, l’État est perdu.

XXXII

Par la perpétuité et l’universalité de la dictature, l’empire était fondé sur la violation du droit. En remontant à la cause qui en avait déterminé la formation, on pouvait le définir : Une réaction de la raison d’État populaire contre la raison d’État patricienne.

Mais le suffrage populaire est aussi impuissant que l’idéal à suppléer la Justice : le droit violé par le fait de l’autocratie impériale, l’empereur se trouvait, pour ainsi dire, hors la loi, et l’empire avec lui.

La société devait donc réagir, d’un côté contre l’empire, en opposant au dieu César un dieu nouveau qui rétablît le droit ; de l’autre contre la personne de l’empereur, exposé à chaque instant de sa vie au poignard des meurtriers.

Jamais on ne vit tant de lois de majesté, et jamais tant de morts violentes parmi les princes. Pendant cinq siècles, sur plus de quatre-vingts dont se compose la liste d’Occident, à peine si l’on en compte dix qui meurent de mort naturelle. Tant l’idéal, servi même par l’héroïsme, est impuissant à tenir lieu du droit, tant il est prompt à se corrompre.