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de se posséder, de se développer selon son génie propre ; c’est, en un mot, la Liberté.

L’événement le prouva, lors des insurrections terribles qui suivirent la mort de Néron, et plus tard, quand, sous la réaction des nationalités écrasées, on vit dix-neuf empereurs nommés à la fois dans les diverses parties de l’empire ; quand enfin, l’œuvre de centralisation portée à son comble par Dioclétien, on la vit se démentir aussitôt par une création de quatre empereurs. Rome tenait le monde en respect en lui présentant son droit armé, et faisant ressortir la nullité de toute autre juridiction. Mais le monde ne crut jamais à l’accomplissement de l’œuvre impériale ; la conscience du genre humain protesta toujours, et le christianisme fut le monument de cette incrédulité.

Rome pouvait-elle comprendre la haute mission qu’aujourd’hui la Justice, l’économie sociale et l’histoire lui assignent de concert ? Je ne sais. C’eût été de sa part reconnaître qu’elle avait vaincu les nations, non pour les exploiter et les piller, mais pour protéger leur indépendance à toutes et leur faire respecter le droit commun : confession difficile. La conscience des peuples n’était pas non plus à cette hauteur ; elle n’attendait pas autre chose que l’application du droit de guerre, et l’empire se présentait comme un adoucissement. La paix moyennant l’obéissance, l’égalité sous le despotisme : transaction hypocrite, qui, sous les plus magnifiques apparences d’équité et d’ordre, assurait au quirite, noble et plébéien, les dépouilles du monde.

Avec quelle âpreté ils s’élancent pour le partage ! Le patricien dépouille les temples, accapare la terre ; le prolétaire réclame sa part en subventions, vivres, divertissements. La guerre civile, allumée par l’avarice, déchire la république ; enfin la multitude triomphe, l’empire s’incarne