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nent avec leurs semblables, comme les non-croyants, d’après les enseignements de l’expérience, les calculs de l’algèbre, les déductions de la logique et les applications de la Justice. Croyez, leur dit-elle, espérez, priez : c’est votre affaire. Quant aux déterminations du droit et de la morale, vous les demanderez, non à l’Absolu ni à ses anges, mais à votre raison pratique, formée à posteriori et exclusivement sur l’observation des actes spontanés de l’homme.

La théologie fait juste le contraire de la science. Elle a la prétention de déduire d’une communication directe avec l’Idéal, dont je n’ai pas à discuter ici la réalité ou le prestige, les préceptes de la morale et du droit ; ce qui est exactement comme si je prétendais moi-même tirer de cet idéal, impuissant à me les donner, les lois de l’économie politique et tous les procédés de l’industrie.

L’idéalisme, pris pour principe de la raison pratique, devient ainsi la destruction de la raison pratique elle-même : la Philosophie de l’absolu, soi-disant nouvelle, l’a prouvé de nos jours, comme elle l’avait prouvé sous d’autres noms dans le passé. Tant que la foi anime la conscience, la Justice se fait respecter et la société se soutient ; mais bientôt, la foi éteinte, l’idole méprisée, le Dieu insulté, le droit ne tarde pas à être foulé aux pieds ; à l’idolâtrie religieuse succède celle des jouissances. Alors c’est fait de la nation, devenue la proie de son idéalisme. De l’idéal divin à l’idéal épicurien la distance est franchie en un saut ; parvenue à ce dernier période, la maladie est incurable ; il faut un renouvellement de générations, qui ne suffit même pas toujours. C’est la paralysie du travail, l’apoplexie de la Justice, la léthargie de la liberté, la démence du pouvoir, la gangrène sociale, le suicide des Églises, formées pour son adoration et son enseignement.