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inspirez au peuple et au monde ?… Si vous frappez César, il faut, pour être conséquents et justes, frapper ses complices, détruire ses légions, anéantir la multitude qu’il a instituée son héritière, changer le cours de l’histoire, dont l’évolution a amené cette dictature fatale. La proscription en masse : voilà le corollaire du tyrannicide.

Aussi, voyez comme repousse le tyran : on dirait le rejeton d’un chêne. Après les funérailles de César, auxquelles le peuple assiste tout entier, dès le lendemain du meurtre, la plèbe et les légions prennent pour chef un petit jeune homme, timide, fluet, point guerrier, génie médiocre, encore aux mains de son précepteur, le contraire en tout du défunt ; et ce nouveau venu, seul ou en participation avec Marc-Antoine, commande cinquante-six ans. Quand Auguste mourut, l’an 14 de notre ère, aucun Romain âgé de moins de soixante ans ne pouvait se vanter d’avoir vu la République. N’est-ce pas à dégoûter du régicide ?

Après Auguste, Tibère, un monstre parmi les monstres, règne vingt-trois ans : de toutes parts on lui élève des temples et des autels ; aux villes qui lui demandent la permission de le faire dieu, il répond en priant qu’on le laisse tranquille. Caligula, frénétique, règne quatre ans ; Claude, idiot, quatorze ans ; Néron, quatorze ans ; Donatien, seize ans ; Commode, treize ans ; et tous populaires comme jamais ne furent Trajan, ni Marc-Aurèle. N’est-ce pas, encore une fois, à dégoûter du régicide ?

Ironie de la Justice sanctionnelle ! Une nation a perdu le sens moral : de ce moment elle n’a de foi qu’en la force. Là commence son expiation. Mais la force répugne à l’être que la conscience seule doit gouverner : à peine établi, le despote devient un objet de haine, et le point de mire des complots. Rends-nous la liberté, César !… Non, répond la Justice, vous ne serez pas libres,