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doctrine, mais n’en est que plus difficile à déraciner. Je dis donc et j’affirme que la société a sa part dans tous les crimes, délits et contraventions que la loi réprime ; qu’en conséquence la réparation, pour être efficace, doit être réciproque, c’est-à-dire que, si le coupable doit satisfaire à la Justice par une somme de mérites, la société à son tour doit travailler à son propre amendement par une révision incessante de ses institutions. Je dis que le système de représailles auquel le législateur se laisse entraîner n’a d’autre effet que d’aggraver le mal, d’abord chez le coupable par l’indignation et l’endurcissement, puis dans la multitude par l’impunité du vice collectif et la contagion ; et j’ajoute, appuyé sur l’expérience, que, si la réparation n’est pas faite, pleine et entière, par toutes parties, elle sera prise par la nécessité des choses ; qu’alors elle deviendra pour tous, aussi bien pour la masse restée indemne que pour les condamnés, un supplice véritable. Car la nécessité est aveugle et sourde, elle frappe l’homme comme la brute ; et ce mal, purement moral en apparence, qu’il a laissé passer, elle le convertit en désastre. Alors, on accuse l’iniquité du sort, on se demande comment la Providence peut ainsi confondre les innocents et les coupables ; on fait appel au jugement de Dieu ; on se repose dans la foi à une Justice ultérieure, ou bien l’on tombe dans le scepticisme, avec lequel la démoralisation devient sans remède. Conduite doublement absurde, attendu, d’un côté, qu’il n’y a pas d’innocents, de l’autre, que les meilleurs, n’eussent-ils d’autre tort que celui de leur incurie, mériteraient leur part de la vengeance céleste.

J’ai montré, par des monuments authentiques, comment la sanction morale s’exerce dans les masses au for intérieur ; je vais faire voir, par des faits d’un autre ordre, comment s’exerce la solidarité.