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satisfactoire, tout cela est-il bien sérieux, et n’y a-t-il pas plus d’éloquence que de réalité ? Comment pouvez-vous vous dire affecté dans votre for intérieur par l’inconduite d’un mauvais sujet ? Que vous fait à vous, honnête homme, sa dépravation ? Et de quoi vous avisez-vous de le vouloir convertir ? Laissez à elle-même cette nature perverse ; vous avez bien assez de garder votre propre vertu. Des coquins se mettent en guerre avec la société : acceptez la guerre, et faites-la bonne. Au demeurant, c’est tout ce qu’a prétendu la sagesse des nations et que prescrit le Code pénal. Nous aurions fort à faire si, après avoir subi les incursions des malfaiteurs, il nous fallait, quand nous les tenons, compter avec eux, les mettre à même de devenir des saints et des héros !… »

Cette objection séduit au premier abord par une apparence de justice expéditive ; et s’il est vrai que la manie de mettre les gens en pénitence tient une grande place dans l’éthique des modernes, il faut avouer que, dans la pratique pénale, la maxime du Chacun chez soi chacun pour soi règne sans conteste. Le christianisme le premier, tout en organisant sa pénitencerie sur les plus larges bases, nous a enseigné à nous occuper spécialement de notre salut personnel, et, ce faisant, à nous laver les mains de la damnation des autres. Puis est venue la discipline des couvents, qui a fait de ce précepte d’égoïsme spirituel une règle de conduite pour le temporel, en recommandant à l’âme retirée en Dieu de laisser aller le monde ; tel bourgeois qui se croit sage parce que, sur la recommandation de son commissaire de police, il ne se mêle pas de politique, ne se doute pas qu’il a tout juste autant d’esprit qu’un moine moinant de moinerie, comme dit Panurge. Qui se soucie véritablement, dans notre monde conservateur, de la chose publique ? À plus forte raison, qui s’embarrasse du perfectionnement du pro-