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Le dernier vers est une ironie à l’adresse de l’ennemi. Des civilisés succomber devant des sauvages, c’est impossible, cela accuserait les dieux : telle est la pensée du poëte grec, qu’on retrouve partout dans les psaumes. On connaît le vœu de Tacite, quand, après avoir raconté une bataille entre barbares où périrent 60,000 Bructères, il prie les dieux d’entretenir cette discorde entre les ennemis de l’empire, puisque, dans le déclin de la nation, il ne lui reste d’autre chance de salut : Maneat, quœso, duretque gentibus, si non amor nostri, at certè odium sui ; quandò urgentibus imperii fatis, nihil jàm prœstare fortuna majus potest quàm hostium discordiam. L’horreur des anciens pour les races sauvages a passé dans le christianisme : c’est elle qui a inspiré les massacres d’indigènes commis par les Espagnols lors de la conquête de l’Amérique, et qui entretient de nos jours la traite des nègres.

Le phénomène que je viens de rapporter ne pouvait, par sa nature même, se produire en chaque nation qu’une fois, du moins avec un tel élan d’enthousiasme : à partir de ce moment le progrès, transformant la pratique de la loi en habitude, faisant de la Justice une seconde nature, devait s’accomplir avec plus de calme. Cependant les causes de dissolution se multipliant en raison même du progrès, la société dut maintes fois rétrograder et le scepticisme s’emparer peu à peu des consciences : alors chefs d’États et pontifes songèrent, en rappelant l’enthousiasme des anciens jours, à réveiller dans les âmes le sens moral affaibli. C’est dans ce but que furent instituées partout des solennités commémoratives, fêtes, mystères, expiations, cérémonies de toute sorte, sacrifices, prières publiques, assemblées de l’agora, exécutions judiciaires, noces, funérailles, spectacles et triomphes.

Quand l’excitation officielle fut devenue impuissante, la conscience des nations se satisfit elle-même, tantôt, chose prodigieuse, par des changements de dieux et des rénovations de cultes, tels que furent le christianisme et l’is-