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libres, une loi de Justice, écrite dans les âmes, organisée dans les personnes, était nécessaire : c’est l’objet du mariage ; la seconde, que les individus dont se compose le grand corps humanitaire se renouvelassent à tour de rôle, après avoir fourni une carrière proportionnée à leur énergie vitale et à la puissance de leurs facultés : c’est à quoi la nature a pourvu par la génération, et ce dont il nous est maintenant aisé de pénétrer les motifs.

L’être vivant, quelle que soit sa liberté, par cela même qu’il est limité, défini dans sa constitution et dans sa forme, n’a et ne peut avoir qu’une manière de sentir, de penser et d’agir, une idée, un but, un objet, un plan, une fin, une fonction, par conséquent une formule, un style, un ton, une note, expression de son individualité absolue, à laquelle il s’efforce de ramener l’universalité des lois naturelles et sociales. Supposez le genre humain compose d’individus immortels : à un moment donné, la civilisation ne marchera plus ; toutes ces individualités, après s’être pendant quelque temps poussées par la contradiction, finiront par s’équilibrer dans un pacte d’absolutisme, et le mouvement s’arrêtera, La mort, en renouvelant les types, produit donc ici le même effet que la guerre des idées, organisée par la Révolution comme la condition nécessaire de la Raison et de la Foi publique (Étude VII).

Mais ce n’est pas seulement au progrès social que la mort est nécessaire : elle l’est à la félicité de l’individu.

Non-seulement, à mesure qu’il avance, l’homme s’enferme dans son individualisme et devient pour les autres un empêchement ; il finirait, dans cette intraitable solitude, par devenir un obstacle à lui-même, à sa vitalité, à l’exercice de son intelligence, aux conquêtes de son génie, aux affections de son cœur. Même sans vieillir, par la seule influence de la routine à laquelle son moi l’aurait à la longue condamné, il tomberait dans l’idiotie : son bonheur, sa gloire, autant que le progrès de la société, exigent qu’il s’en aille. La mort à cette heure lui est un gain ; qu’il l’accepte avec joie, et fasse de sa dernière heure son dernier sacrifice rendu à la patrie. Tous tant que nous sommes, après nous être dévoués à la science, à la Justice, à l’amitié, au