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loi du mariage. Introduisez une personne de plus : l’idéal meurt, la religion se perd, l’unanimité expirent et la Justice s’évanouit.

D. — Pourquoi le mariage est-il indissoluble ?

R. — Parce que la conscience est immuable. La femme, expression de l’idéal, peut bien, quant à l’amour, avoir dans une autre femme une doublure, et de son vivant être remplacée ; l’homme, expression de la puissance, pareillement. Mais quant à la justification dont l’homme et la femme sont agents l’un pour l’autre, ils ne peuvent pas, hors le cas de mort, se quitter et se donner mutuellement un rechange, puisque ce serait avouer leur commune indignité, se déjustifier, si l’on peut ainsi dire, en autres termes devenir sacriléges. L’homme qui change de femme fait conscience neuve : il ne s’amende pas, il se déprave.

D. — Ainsi vous repoussez le divorce ?

R. — Absolument. La loi civile et religieuse a posé des cas de nullité et de dissolution de mariage, tels que l’erreur de la personne, la clandestinité, le crime, la castration, la mort : ces réserves suffisent. Quant à ceux que tourmente la lassitude, la soif du plaisir, l’incompatibilité d’humeur, le défaut de charité, qu’ils fassent, comme l’on dit, séparation. L’époux digne n’a besoin que de guérir les plaies faites à sa conscience et à son cœur ; l’autre n’a plus le droit d’aspirer au mariage : ce qu’il lui faut, c’est le concubinage.

D. — Défendre aux séparés de se remarier, les rejeter dans l’union concubinaire, est-ce moral ?

R. — Le concubinage, ou concubinat, est une conjonction naturelle, contractée librement par deux individus, sans intervention de la société, en vue seulement de la jouissance amoureuse et sous réserve de séparation ad libitum. À part quelques exceptions, que produisent les hasards de la société et les difficultés de l’existence, le concubinat est la marque d’une conscience faible, et c’est avec raison que le législateur lui refuse les droits et les prérogatives du mariage.

Mais la société n’est pas l’œuvre d’un jour ; la vertu est d’une pratique difficile, sans parler de ceux à qui le mariage est inaccessible. Or, la mission du législateur, quand il ne peut obte-