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est entré à son tour, lorsqu’il a identifié Dieu et l’amour pur, et proposé à ses vierges le Christ pour époux. Le Christ, c’est la personnification du sexe masculin, de même que la Vierge est la personnification du sexe féminin : que toute jeune fille, avant de se marier, apprenne donc à aimer le Christ ; que tout jeune homme soit fait chevalier de la Vierge.

Voilà ce que nos romanciers et dramaturges, s’ils avaient étudié le cœur humain, s’ils se souciaient le moins du monde de la félicité publique et de la morale, enseigneraient à la jeunesse. Au lieu que, dans leurs absurdes et immorales peintures, c’est toujours l’amour d’inclination qui triomphe, ils feraient voir qu’un pareil sentiment, s’il n’est racheté par une forte dose de vertu, est presque une garantie d’infortune. Pour le poëte comique, comme pour le chansonnier, l’amour offre une source inépuisable de ridicule : il y a toute une révolution littéraire dans ce revirement…

Si accomplie que paraisse une fiancée, il n’est pas de mari, à moins que ce ne soit un imbécile, à qui une possession de trois mois n’ouvre l’œil sur d’autres charmes que ceux de son épouse ; j’en dis autant de celle-ci à l’égard de son mari. Et si, malgré l’imprévu de la découverte, ce mari et cette femme restent fidèles l’un à l’autre, leur fidélité, que la jeunesse le sache, vient de leur conscience, nullement de leur prédilection.

Puis donc que par la possession l’idéalisme érotique se détruit aussi rapidement qu’il s’est allumé, et que dans la nuit conjugale toutes femmes sont grises, comme dit le proverbe, que reste-t-il à faire, sinon de traiter l’amour comme la raison prescrit de traiter tout idéal, c’est-à-dire de le cultiver dans l’universalité de son objet, en s’abstenant de tout ce qu’il peut offrir d’individuel, au moins jusqu’au jour du mariage ?