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paysans et les aristocrates ; depuis 1830, elle a passé sa vie au sein du monde politique et littéraire. Aucun écrivain, de notre temps, n’amassa pareille provision de faits et d’idées, ne fut à même de voir d’aussi près tant d’hommes et de choses. Ajoutez une faculté d’expression extraordinaire, qui imite à s’y méprendre la manière des plus éloquents. C’est avec ces avantages que Mme  Sand, à 28 ans, mère de famille et revenue des illusions de la jeunesse, renonce à la vie de campagne et entre dans la carrière. Que va-t-elle donner au public ? Qu’est-ce qu’il y a, dans les cent ou cent cinquante volumes qu’elle a écrits, qui révèle une idée forte ? Voilà ce que nous avons à démêler, et qu’elle serait sûrement incapable de dire.

Dans l’Histoire de sa vie, allant au-devant de certains reproches que je ne relèverai point, Mme  Sand accuse les fatalités de sa naissance. Elle se trompe. Mme  Sand tient de sa grand’mère Marie Dupin, beaucoup plus que de sa mère Victoire Delaborde, et de sa trisaïeule Aurore de Kœnigsmark. Les ébullitions de sa jeunesse, de même que la mélancolie sceptique de M. de Lamartine, furent l’effet des impressions du dehors : elle est née calme, de sens rassis, point sophiste et médiocrement tendre ; docile jusqu’à la crédulité, d’une conception nette, et, pour le train ordinaire de la vie, d’un très-bon jugement. Tout en elle, tempérament, caractère, éducation, la lucidité, et, si j’ose ainsi dire le sang-froid de l’esprit, la prédestinait à être le contraire de ce que la firent d’impures relations : qu’elle eût dès le premier jour rencontré, comme Manon Phlipon, l’homme grave et fort dont son imagination avait besoin, et George Sand, de bacchante révoltée que nous l’avons vue, eût été la réformatrice de l’amour, l’apôtre du mariage, une puissance de la Révolution.

On peut suivre dans les romans de Mme  Sand le dérangement de cette âme mal équilibrée : elle est d’abord Valentine, une jeune femme placide, facilement résignée à un mariage sans idéal ; puis c’est Indiana, que l’ennui, plutôt que des griefs sérieux, pousse à un amour de tête où elle ne trouve que déception ; plus tard elle devient Lélia, la femme irritée contre l’amour par l’impuissance de la volupté. Quand et comment