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Le Compagnon du tour de France, Spiridion, Leone Leoni, le Secrétaire intime, Tévérino, et l’Histoire de ma vie ; j’ai vu, à l’Odéon, le Champy, Claudie, Maître Favella : si cet ensemble ne suffit pas à motiver mon opinion, je suis prêt à rétracter tout ce que je vais dire.

Le premier effet de cette lecture fut de soulever en moi une réprobation terrible. Je n’avais pas assez d’imprécations et d’injures contre cette femme, que j’appelais hypocrite, scélérate, peste de la République, fille du marquis de Sade, digne de pourrir le reste de ses jours à Saint-Lazare, et que je voyais admirée, applaudie, Dieu me sauve ! par les puritains de la République.

J’avais tort cependant, sinon vis-à-vis des livres, au moins à l’égard de l’auteur. Une étude plus attentive m’a calmé, et je crois pouvoir d’un mot justifier Mme Sand, à qui je demande pardon de ma colère.

Rien de ce que la raison et la morale peuvent blâmer chez elle n’est d’elle ; en revanche, tout ce qu’elles peuvent approuver lui appartient. Puissante par le talent et le caractère, amante de l’honnête autant que du beau, Mme Sand, dans la modestie de son cœur, a cherché un homme ; elle ne l’a pas trouvé. Aucun de ceux qu’elle a hantés, aimés, n’a su la comprendre et n’était digne d’elle ; elle s’est égarée par leur faute. Elle ne demandait, en suivant sa vocation, qu’à rester en tout et pour tout ce que les plus désintéressés de ses amis l’ont trouvée toujours, une bonne et simple femme : ses courtisans ont fait d’elle une émancipée ; que la responsabilité leur en revienne.

Si jamais l’étincelle du génie dut briller en une femme, ce fut certes en Mme Sand. Son éducation lui donna tout, et malgré certain petit accès de dévotion qu’elle accuse vers sa seizième année, et qui ne fut que le prélude de sa vie amoureuse, on peut dire que dès le ventre de sa mère elle fut sans préjugés. Élevée par une grand’mère voltairienne et un précepteur athée, à vingt ans elle possédait les langues, les sciences, les arts, la philosophie ; elle s’est mariée elle-même ; elle a fréquenté les jésuites, les religieuses, l’ancienne et la nouvelle société, les