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rambiques sur les grandeurs et les misères de ce pays. Çà et là quelques pensées justes sur la littérature et les arts, extraites des lectures et conversations de l’auteur, mais qui ne sortent pas du lieu commun.

La seconde partie, ou le roman proprement dit, est quelque chose d’absurde, écrit en un style inqualifiable. Si Corinne, ou lord Melvil, son amoureux, avait un seul moment lucide, ce serait fait du roman : comme le Raphaël de M. de Lamartine, il finirait le premier jour, il finirait le second, il finirait le troisième, il finirait à chaque instant. Ajoutez que, comme dans Raphaël, la moralité des personnages est détestable, un manquement perpétuel à la bienséance, à la délicatesse, à la probité, à la raison, déguisé sous le plus fatigant verbiage et les sentimentalités les plus fades.

Corinne, d’abord, n’attend pas qu’on l’aime ; elle devine qu’on l’aimera et fait toutes les avances, assurant néanmoins qu’elle se tient sur la réserve : résultat de cette effémination littéraire, qui commence à Rousseau, et que nous avons vue se continuer par la Gironde. Une femme qui raisonne de tout, religion, morale, philosophie, politique, littérature, beaux-arts, a des priviléges que n’obtient pas une pécore. Son talent, ce mot revient à chaque instant dans la bouche de Corinne, la dispense de toute retenue ; elle est naturelle. Elle sait qu’en se faisant connaître sous son véritable nom elle court risque de perdre lord Melvil, à qui un devoir pieux défendrait de l’épouser ; mais elle se garde de tenter l’épreuve, et s’efforce d’engager son pitoyable amant, en enflammant sa passion. Puis, quand lord Melvil la quitte, elle court après lui, assiste invisible à son mariage, et revient se désoler en Italie.

Quant à lord Melvil, le héros du roman, un homme selon le cœur de Mme  de Staël, c’est un être sans caractère, sorte de pantin qui, après avoir longtemps soupiré pour Corinne et lui avoir promis mariage, l’abandonne en lâche, trahit sa parole et épouse ailleurs. C’est un fait d’observation générale que les caractères d’hommes conçus par des romancières sont au dessous de la virilité. Mettez à la place de lord Melvil le premier bourgeois venu de la cité de Londres, dès le premier jour