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Raphaël, que la maladie de cœur tient à distance, en adoration devant le lit de Julie et s’écriant :

« Ô amour ! que les lâches te craignent et que les méchants te proscrivent ! Tu es le grand prêtre de ce monde, le révélateur de l’immortalité, le feu de l’autel ! Sans ta lueur, l’homme ne soupçonnerait pas l’infini !… »

À quoi Julie, en proie aux palpitations, réplique par cette antienne :

« Il y a un Dieu, c’est l’amour… Je l’ai vu, je l’ai senti. Ce n’est plus vous que j’aime, c’est Dieu. — Dieu ! Dieu ! Dieu ! — Dieu, c’est toi ; Dieu, c’est moi pour toi ! Raphaël, tu es mon culte de Dieu !

Mais il faut connaître aussi ce Raphaël, l’homme-dieu de Julie. Raphaël est un jeune homme pauvre, doué de quelques talents, pour qui sa famille s’est sacrifiée, et qui, tandis que son père, sa mère et six enfants dans l’indigence cultivent pour vivre le champ paternel, au lieu de chercher un emploi dans le monde, mange leur dernier sou en faisant l’amour. Pour se soutenir quelques mois de plus à Paris, il vend à un juif l’anneau de mariage de sa mère : il est vrai qu’il pleure beaucoup avant de se défaire de cette relique ; mais enfin il la livre, un jour qu’il avait fait une course au bois de Boulogne avec Julie. Tandis que là-bas on meurt de faim, il chante sous un hêtre, avec Julie, un dithyrambe à l’amour : Dieu ! Dieu ! Dieu !… À cet endroit du roman, je m’attendais à voir paraître un frère en blouse et gros souliers, venant souffleter le lâche et stupide Raphaël sous les yeux de son indigne maîtresse : M. de Lamartine n’a pas de ces inspirations. Si Raphaël avait eu le moindre sentiment de son devoir, après s’être réjoui ou désolé, je laisse la chose à la discrétion du romancier, pendant quinze jours, de cette aventure d’auberge, il serait retourné à ses affaires, comme eût fait le plus humble commis-voyageur ; mais nous n’eussions toujours pas eu de roman, et il existerait de M. de Lamartine un chef-d’œuvre de moins. Tout se passe donc sans esclandre, et l’aventure finit comme elle a commencé, à la satisfaction du lecteur et de l’écrivain. L’étudiant et la petite pensionnaire qui liront cette nouvelle ne