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On a dit que l’esprit avait, comme l’animal, sa dualité sexuelle, son élément masculin et son élément féminin.

Sans discuter la vérité de ce jugement, il résulte de tout ce qu’on vient de lire que l’élément féminin, nonobstant la qualité spécifique qui résulte de son infériorité même et le fait reconnaître, est en dernière analyse un élément négatif, une diminution ou affaiblissement de l’élément masculin, qui à lui seul représente l’intégralité de l’esprit.

D’où il suit encore que, si dans une société, dans une littérature, l’élément féminin vient à dominer ou seulement à balancer l’élément masculin, il y aura arrêt dans cette société et cette littérature, et bientôt décadence.

Cette prévision de la logique est confirmée par l’expérience.

Toute littérature en progrès, ou si l’on aime mieux en développement, a pour caractère le mouvement de l’idée, élément masculin ; toute littérature en décadence se reconnaît à l’obscurcissement de l’idée, remplacée par une loquacité excessive, qui fait d’autant mieux ressortir le faux de la pensée, la pauvreté du sens moral, et, malgré l’artifice de la diction, la nullité du style.

La raison de ceci se découvre d’elle-même.

Une suite de chefs-d’œuvre, en développant les aptitudes de la langue, lui a donné l’abondance, la flexibilité, la force, créé ses locutions et ses formes. La philosophie, les sciences, l’industrie, toutes les branches de l’activité sociale l’ont enrichie. Son dictionnaire, comprenant, avec les vocables, les tours, formules, acceptions de mots, est devenu un arsenal ou fourmillent les idées, et dont aucun écrivain n’épuisera les trésors. À ces matériaux déjà si riches, la grammaire et la rhétorique ajoutent leurs recettes : moules de phrases, périodes, cadences, etc. ; on en a pour tout. L’art de faire jouer la métaphore et la métonymie, de darder l’apostrophe,