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vous initier aux épreuves sacrées de la vie humaine. Moi, je rêvai tout simplement d’un homme aux cheveux noirs qui se penchait vers moi pour effleurer mes lèvres de ses lèvres chaudes et vermeilles ; et je m’éveillai oppressée, palpitante, heureuse plus que je ne m’étais imaginé devoir l’être jamais. Je regardai autour de moi : le soleil semait ses reflets sur les profondeurs du bois ; l’air était bon et suave, et les cèdres élevaient avec splendeur leurs grands rameaux digités, semblables à des bras immenses et à de longues mains tendues vers le ciel. Je vous regardai alors. Ô ma sœur, que vous étiez belle !Je ne vous avais jamais trouvée belle avant ce jour-là. Dans ma complaisante vanité de jeune fille, je me préférais à vous ; il me semblait que mes joues brillantes, que mes épaules arrondies, que mes cheveux dorés, me faisaient plus belle que vous. Mais en cet instant le sens de la beauté se révélait à moi dans une autre créature. Je ne m’aimai plus seule : j’avais besoin de trouver hors de moi un objet d’admiration et d’amour. Je me soulevai doucement, et je vous contemplai avec une singulière curiosité, avec un étrange plaisir. Vos épais cheveux noirs se collaient à votre front, et leurs boucles serrées se roulaient sur elles-mêmes comme si un sentiment de vie les eût crispées auprès de votre cou velouté d’ombre et de sueur. J’y passai mes doigts ; il me sembla que vos cheveux me les serraient et m’attiraient vers vous. Votre chemise, blanche et fine, serrée sur votre sein, faisait paraître votre peau, hâlée par le soleil, plus brune encore qu’à l’ordinaire ; et vos longues paupières, appesanties par le sommeil, se dessinaient sur vos joues, alors animées d’un ton plus solide qu’aujourd’hui. Oh ! vous étiez belle, Lélia ! mais belle autrement que moi, et cela me troublait étrangement. Vos bras, plus maigres que les miens, étaient couverts d’un imperceptible duvet noir que les soins du luxe ont fait depuis disparaître. Vos pieds, si parfaitement beaux, baignaient dans le ruisseau, et de longues veines bleues s’y dessinaient. Votre respiration soulevait votre poitrine avec une régularité qui semblait annoncer le calme et la force ; et dans tous vos traits, dans votre attitude, dans vos formes plus arrêtées que les miennes, dans la teinte plus sombre de