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Ici encore, tout en formant des vœux sincères pour l’extinction du concubinat, je ne puis m’empêcher de dire que le christianisme, qui l’a flétri sans pouvoir le faire cesser, au lieu de servir la morale y a porté une nouvelle atteinte.

Le 10 juillet 1855, la cour d’assises de la Seine condamnait à deux ans de prison une femme convaincue de bigamie dans les circonstances suivantes :

Abandonnée par son mari, elle avait trouvé un amant qui, l’ayant emmenée dans son pays et voulant honorer son union, l’épousa. Tout poussait au mariage l’infortunée : l’abandon du premier mari, le vœu de l’amant et de sa famille, les convenances de la société, qui n’accepte plus, grâce au christianisme, le concubinat, la pudeur même. Il y a mieux : cette femme qu’on accuse de bigamie est en réalité monogame, et plus, pour la convaincre, on insiste sur les circonstances qui l’ont déterminée à célébrer des secondes noces, plus, en dépit de l’Église et de la loi qui l’imite, je la proclame innocente et digne de respect.

Qu’est-ce donc qui fait son crime ? A-t-elle vécu simultanément avec deux maris ? Non : abandonnée du premier, elle s’est attachée au second par un engagement loyal, sinon légal. C’est contre la légalité, non contre l’amour, la Justice, la raison, la pudeur, qu’elle a péché. Or, qu’est-ce que cette légalité ? Un état violent, créé par la spéculation théologique, qui ne laisse pas de moyen terme à la femme abandonnée entre la bigamie, déclarée crime, et le libertinage, qui emporte l’exclusion de la société. Comme si la Justice consistait à créer des situations impossibles, au lieu de s’emparer de celles qu’a faites la raison des temps et des choses, pour les relever peu à peu par l’application du droit !

Supposez, cependant, à défaut du divorce, que nos