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littérature. Nier la Révolution dans son droit, c’est la nier dans son expression littéraire. Et comme, depuis la fin du moyen âge, la littérature française appartient tout entière à la Révolution, qu’elle n’a de sens et de portée que par la Révolution, désavouer celle-ci, c’est déclarer celle-là bâtarde, nulle.

On n’y a pas manqué.

De Maistre et Châteaubriant, les deux bardes de la réaction, donnent le signal. À leur suite, le romantisme commence la démolition. L’idéalité religieuse redevenant le principe et le gage de la société, l’affaire principale de la vie, autant élevée au-dessus des intérêts terrestres que le ciel est élevé au-dessus de la terre, l’idéalisme, dans la philosophie et dans l’art, redevient son objet à lui-même, son principe, sa fin, le principe et la fin de la Justice. Comme on a la prétention d’aimer Dieu pour Dieu, de même on philosophe pour philosopher, on fait de l’art pour l’art ; bientôt, et ce sera le comble, on enseignera l’amour pour l’amour. Chercher dans la réalité vivante de nouveaux motifs à l’idéal, ce serait l’asservir, placer au dernier rang ce qui doit être au premier, convenir que les poëtes et les artistes sont dans la procession humanitaire ce que sont dans une armée les fifres et les tambours ! L’art pur, la philosophie pure, affranchis, comme le voulait Schelling, de toute considération d’utilité et de réalité, priment la science et la morale : à leurs lauréats il appartient de régler les droits du travail et de conduire le troupeau des nations.

La contre-révolution s’accomplit ainsi dans les intelligences, en attendant que l’heure soit venue de l’accomplir dans les choses. Par l’admiration du gothique, qu’avait dédaigné le dix-septième siècle, on revient aux mœurs féodales ; par la religiosité, à la Bible. Le peuple est oublié, le travailleur mis en suspicion, l’économie violée à