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en ont essayé est miracle. Ce qui les arrête, et qu’on ne veut pas voir, est la dépression des esprits, le retard du siècle ; c’est que la réalité nationale, le sujet épique duquel doit rayonner toute œuvre de poésie, n’existe pas.

Nature, humanité, patrie, Justice, raison, tout s’était affaissé sous l’étreinte du catholicisme. Avant de chercher leurs rimes, les poëtes avaient à relever le monde.

Pendant trois siècles, la Révolution fut leur rêve. D’abord, avec un sens parfait et une raison supérieure, ils détournent la France du protestantisme.

La littérature moderne a fait ses preuves en matière de tolérance : il suffit de rappeler Voltaire et les auteurs de la Ménippée. Mais, après qu’on a gémi sur les persécutions et les massacres, il faut avouer que le protestantisme avait au moins le tort de fausser la marche de l’esprit humain, et revenir, sur le compte de la Réforme, à l’opinion des lettrés, exprimée par Henri IV : Paris (la Révolution) vaut mieux qu’une messe.

Sous Richelieu, Mazarin et Louis XIV, les lettrés se rangent du côté de la couronne contre la féodalité. Aux funérailles de celle-ci ils ont tenu les coins du poële ; grâce à eux surtout, la royauté française s’est reconnue. Quoi qu’ait écrit Saint-Simon, avocat d’un ordre de choses évanoui ; quoi que ressasse à sa suite une démocratie absurde, notre jugement sur Louis XIV doit être celui de Voltaire. Avant lui, il n’y avait pas eu véritablement de roi de France : c’était toujours un chef féodal. Il fallait un homme qui, faisant tout plier sous le niveau d’une loi commune, ralliât la nation et grandît la royauté en sa personne de tout l’abaissement de la noblesse. Pour ce rôle d’orgueil, qui enchanta nos pères et servit de transition à d’autres fins, Louis XIV fut sans pareil. La religion, les traditions, les idées chevaleresques, eussent