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qu’à cette condition. L’esprit s’alimente de lui-même, et de quoi grandirait-il, sinon de ses propres pensées ?

Corneille nous donne les Romains et les Espagnols : ses pièces ne me paraissent plus représentables, tant le mauvais goût de son siècle, les sentiments faux et outrés, le style baroque y abondent. Mais Corneille est l’auteur de quelques centaines de vers les plus prodigieux qu’ait entendus le monde poétique, et qui seul suffiraient à démontrer la réalité du progrès dans l’expression du beau par la littérature et l’art. Or, à quoi Corneille est-il redevable de ces vers ? Tout à la fois à la condensation dans sa pensée de l’esprit antérieur, et à la qualité particulière de sa langue. C’est à cette métrique, qu’on essaie en vain de déshonorer depuis qu’on en a perdu le secret, que Corneille a dû ces vers sublimes, taillés d’équerre dans un granit qui durera plus que les marbres du Parthénon et les pyramides de Thèbes.

Racine, avec moins de vigueur peut-être, mais avec plus de perfection que Corneille, fait passer dans notre littérature l’âme de Virgile, de Tacite, de Sophocle, d’Euripide, de la Bible, tout ce qu’ont de meilleur les Latins, les Grecs, les Hébreux. Comme Virgile, il excelle à tirer l’idéal de situations horribles, devant lesquelles les anciens échouaient. Châteaubriant attribue au génie chrétien la supériorité de la Phèdre de Racine sur celle d’Euripide. Faux jugement : Racine eût fait preuve d’un médiocre talent, s’il n’avait fait que reproduire un idéal plus parfait. Ce qui fait son triomphe, c’est que dans nos mœurs, telles quelles, la pensée de l’inceste entre une belle-mère délaissée, qui un moment se croit veuve, et son beau-fils, pensée qui plane sur toute la pièce, est odieuse, tandis qu’elle ne l’était pas dans les mœurs anciennes : témoin l’histoire d’Absalon, qui, d’après le conseil d’Achitophel, jouit des femmes de son