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LIV

C’est ainsi que la France, d’abord par la spontanéité de son génie, puis par la grammaire, la dialectique, la philologie comparée, a deux fois créé sa langue et s’est préparée pour le grand poëme.

Voyez ses écrivains : ils le pressentent, ils en ont l’ivresse.

D’abord, ils ne sont plus chrétiens. Chose inouïe depuis que l’homme a conquis l’usage de la parole, c’est le poëte qui aujourd’hui renie sa religion. Ils chantent les dieux de la fable, le vin, l’amour, la gloire et toute la nature : le christianisme ne va pas à leur muse. Ils s’ennuient de Dante et de Tasse, ils s’ennuieront de Milton. Les psaumes de Marot, bons pour le prêche, ne seront pas lus dans les cercles. Corneille, vieux, traduit l’Imitation en mendiant son pain ; Athalie, Esther, les deux belles Juives, suspectes de dévotion, sont un moment méconnues ; les poèmes de la Religion et de la Grâce ne sortiront pas de la poussière des petits séminaires. Fénelon n’écrit que de l’abondance d’Homère : son Télémaque, qu’on prendrait pour une traduction, est le plus beau monument de la prose française, et tout noble que soit l’auteur par sa naissance, tout prêtre que l’ait fait sa religion, il se soucie aussi peu de la féodalité que du gothique. Bossuet met la dernière main à l’édifice catholique et prononce l’oraison funèbre de l’Église ; comme Pascal, il nous initie à la polémique et à l’histoire, en exterminant les prétendus réformés. Béni sois-tu, évêque intrépide ! Ta philosophie, prise à Descartes, un profane cependant, ne vaut rien : elle a fini en Spinoza. Ton système providentiel est coulé bas, ton exégèse fait sourire les linguistes ; il est seulement dommage qu’au lieu de coucher en latin ta dissertation sur le pape, tu