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muler, en lisant, tout ce qui fait l’essence de la versification. À quoi bon rimer alors ?… Il faut avouer que, si les méchants vers sont en tout pays pires que la prose, la langue française, sous ce rapport, est incomparable. Mais j’y vois aussi la preuve de la supériorité de notre versification sur celle des anciens ; bien entendu que je n’exclus pas du bénéfice de la comparaison les langues modernes qui suivent à peu près la même métrique que le français.

Prenons le début d’Athalie.

Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel.

La pensée finit avec le vers, dont le calme et la sonorité sont en rapport parfait avec l’idée qu’ils expriment, l’adoration dans le temple. Cependant, quelque complet pour le sens, quelque irréprochable dans la forme que soit ce premier vers, si l’acteur devait s’arrêter là, le spectateur serait tenté de lui dire : Eh bien ! adore, si tu n’as rien de plus à m’apprendre, et tais-toi !… Mais le poëte continue :

Je viens, selon l’usage antique et solennel,
Célébrer avec vous la fameuse journée
Où sur le mont Sina la loi nous fut donnée.

Tout le génie de la langue et de la littérature française est dans ces vers.

Je sais que le beau ne se raisonne guère ; je n’oublie pas ce que j’ai dit moi-même, que, l’art étant la faculté que possède l’esprit d’exécuter des variations libres sur le thème fixe de la nature, il est impossible de trouver une mesure de comparaison du beau dans les arts. Peut-être aussi que pour sentir la beauté des vers de Racine il est indispensable d’avoir l’oreille française, ce qui revient à dire que, pour tout être doué du sentiment poétique, la plus belle poésie est celle de son pays et de sa