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rudes épreuves, appellent l’indulgence et le pardon. La multiplicité et la complication des rapports rendent l’esprit plus sérieux, la pensée plus prosaïque, l’âme plus sombre. La nature même semble vieillie de tous les désenchantements de l’homme. Autant de difficultés à vaincre qui n’existaient pas pour le poëte primitif, et qui s’imposent au poëte moderne comme une loi. Il faut qu’il suive le mouvement : ce qui revient à dire, en vertu de nos principes, qu’en présence de difficultés plus grandes, il est condamné à déployer plus de talent, par conséquent à faire plus et mieux que ses devanciers et ses modèles.

Ainsi fait Virgile dans ses églogues. Les bergers de Théocrite ne sortent guère du cercle de la bergerie : en apprenant la langue de Virgile, ils deviennent, sans cesser d’être bergers, politiques, philosophes, révolutionnaires !… La première églogue célèbre la fin des guerres civiles ; la quatrième chante le siècle nouveau ; la cinquième est une lamentation sur la mort de César ; la sixième contient une philosophie de la nature. Les idées les plus profondes, les plus vastes, les plus tristes, sont mêlées aux peintures attrayantes de la vie champêtre ; le tout si bien fondu, si parfaitement harmonique, qu’on n’imagine pas que des bergers vivant au premier siècle avant notre ère aient pu ni penser autre chose ni s’exprimer autrement. Et ces petites pièces n’ont pas cent vers !… Si jamais le genre bucolique ressuscite dans les littératures modernes, les bergers devront être citoyens, savants, ingénieurs, économistes : qualités dont l’idéalisation, de plus en plus difficile, suppose un art toujours plus puissant.

Qu’est-ce qui fait des Géorgiques le chef-d’œuvre de l’antiquité, et peut-être de toute l’humanité poétique, un poème qui à lui seul mériterait qu’on enseignât le latin