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dienne, le latin de Virgile résonne comme l’orgue…. En comparant dans le détail la versification des deux poëtes, on s’aperçoit que du premier au second le vers a subi un nettoyage, comme la parole de l’enfant devenu homme. Homère doit tout à sa langue : Virgile a tout donné à la sienne ; et, malgré l’infériorité de l’instrument, son vers est aussi supérieur à celui d’Homère que la théosophie du sixième livre est supérieure aux mythes de l’Iliade. Je ne crois pas qu’on trouve dans toute l’Iliade sept vers de suite comme ceux où Virgile définit la mission humanitaire du peuple romain ; or, des vers de cette facture, il y en a par centaines dans l’Énéide et les Géorgiques.

Je conclus : entre l’Iliade et l’Énéide il y a, pour le style, la même distance qu’entre la chanson de Roland et Athalie, ou bien, dans un autre genre, entre la satire Ménippée et les harangues de Mirabeau.

XLVI

C’est surtout dans la peinture des sentiments et la manière d’idéaliser les hommes et les choses que se montre le poëte.

La civilisation représentée par Homère, peu avancée, superficielle, n’offrant que des rapports simples, est belle par sa naïveté même. Le poëte n’a presque rien à faire pour recueillir son idéal : c’est la jeunesse, le courage, la force, la beauté ; ce sont les mœurs patriarcales, la royauté agricole, la femme industrieuse, l’amour conjugal, l’amitié héroïque, la nature pleine de miracles, les dieux à chaque pas.

Douze cents ans après la guerre de Troie, tout est changé : le monde a vu bien des révolutions ; l’homme a dû réfléchir sur une foule de choses qu’auparavant il écartait comme tristes et ignobles ; les situations de la vie engendrent des péripéties qui mettent la vertu à de