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Junon, Vénus, Jupiter, au siècle d’Auguste, comme ils concevaient à peine qu’Homère eût osé faire trois siècles après le siège de Troie !… Les fictions de l’Iliade et de l’Énéide devenues lettre close, on ne se donna pas la peine d’en chercher le sens, encore moins la raison. Tout ce qu’on sut faire, ce fut de conclure doctement que le merveilleux, n’importe quel, était essentiel à la poésie épique ; qu’il n’y avait pas d’épopée sans intervention du ciel et sans miracles. C’est à cette belle théorie que nous devons les merveillosités de la Henriade : les puérilités de Voltaire pèsent de tout leur poids sur le chantre d’Énée, devenu ainsi coupable de notre propre ineptie.

Le merveilleux, puisque merveilleux il y a, dans l’Énéide, est de deux sortes, suivant qu’on le considère dans la forme ou dans le fond.

Dans la forme : la religion de Virgile, ou, si l’on aime mieux, de son poëme, est une gnose, ni plus ni moins que celle de Platon, d’Apollonius de Thyane, de Simon le mage, de saint Paul et autres. Dans cette gnose, les anciennes divinités ne sont plus telles sans doute qu’on les voit figurer dans Homère, pas plus que le Jéhovah des gnostiques du deuxième et du troisième siècle n’est le même que celui du Pentateuque : ce sont des génies qui gouvernent les forces de la nature et président aux destinées des nations. Ainsi conçue, la foi aux dieux, du temps de Virgile, foi déjà toute chrétienne, était, j’ose le dire, plus profonde, plus vivace que jamais. Junon (que font ici les noms propres ?) est l’ange ennemi de l’Asie, qui tantôt en faveur des Grecs, tantôt au profit de Carthage, s’efforce de détourner la destinée. Vénus, au contraire, est l’ange protecteur ; Jupiter, la providence universelle, impartiale, qui gouverne par des lois éternelles les choses divines et humaines, qui res hominumque deûmque æternis regit imperiis ; qui distribue à ses anges l’éloge et