Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 3.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ainsi, la guerre finie entre les deux grandes puissances de terre et de mer, l’empire, la monarchie universelle, existe. Un nouveau soleil se lève sur le monde, ramenant avec lui, pour embellir la civilisation, l’innocence du premier âge, le règne de la Vierge céleste. Comme signes, nous avons la réconciliation des peuples antagoniques, marquée par les épisodes d’Évandre et de Diomède ; le croisement des races, indiqué par l’oracle rendu sur le mariage de Lavinie ; la condamnation de l’égoïsme national en Turnus. Turnus, hélas ! c’est Pompée, Brutus, Cassius ; c’est l’âme vertueuse et patriotique de Caton ; c’est cet ordre patricien tout entier, qui se refusait à octroyer le droit de cité aux nations vaincues, qu’appuyaient de leur côté César et sa plèbe.

Une semblable régénération devait être avant tout religieuse : Énée le pieux est le patron d’Octavien Auguste et d’Antonin Pie ; quatorze siècles après, il servira encore de type à Godefroy de Bouillon. Dès lors, condamnation de l’athéisme politique en Mézence ; annonce du nouveau dogme : providence, immortalité des âmes, expiation, toute la substance du christianisme ; réforme des mœurs domestiques et proscription de la volupté : c’est le sens des amours de Didon, de la rencontre d’Énée et d’Hélène, de l’épisode de Nisus et Euryale. Je reviendrai sur ce sujet dans une autre Étude. Redisons seulement qu’Énée, pour devenir fondateur de l’état romain, de la famille romaine, doit se séparer de son épouse asiatique et renoncer à Didon la Phénicienne : ainsi le veut la dignité de la matrone, représentée par l’invisible Lavinie. C’est la réprobation des Cléopâtre, des Bérénice, des Julia Domna, des Mamée, des Zénobie, de toutes ces étrangères à diadème, dans lesquelles l’orgueil romain ne put voir jamais que des courtisanes.