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leur caractère. — Rôle immense de la matrone, figurée par la reine des dieux : Créüse est enlevée, Didon se donne la mort, Camille est tuée sur le champ de bataille, Vénus n’obtient pour son fils qu’un asile ; toute l’action roule sur le mariage de Lavinie, fiancée par l’oracle domestique à un étranger, mais qui, fidèle à la patrie, ne doit s’unir à Énée qu’en régime paraphernal.

Si le choix du sujet doit être compté pour quelque chose en poésie, on m’accordera que l’Énéide est sous ce rapport autant au-dessus de l’Iliade que l’empire romain était au-dessus de la Confédération hellénique, et celle-ci au-dessus de la famille grecque. Mais qui jamais, depuis le triomphe de l’Évangile, songea à reconnaître toutes ces choses dans l’Énéide ?

À côté de ces idées mères, qui forment la charpente et l’originalité de l’Énéide, idées dont le christianisme s’est paré plus tard comme s’il les eût trouvées de son fonds, il convient d’en rappeler quelques autres, d’une importance secondaire, mais qui n’en font pas moins du poëme une œuvre unique en son espèce, sans modèle comme l’Iliade, et, comme l’Iliade, inimitable.

Le problème de l’empire circum-méditerranéen est posé, l’impuissance de la Grèce constatée, la vieille Asie écartée. À qui écherra cet empire ? La lutte n’est sérieuse qu’entre Rome et Carthage : d’un côté la puissance continentale, noblesse propriétaire et plèbe agricole ; de l’autre la puissance maritime, le commerce et l’industrie.

Carthage succombe ; cela devait être : la mer ne sera jamais que le chemin de grande communication qui unit les continents ; le navire, qu’un instrument de transport au service du laboureur. Venise et la Hanse, aussi bien que Carthage, l’Angleterre elle-même, l’apprendront à leurs dépens.