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Quand Évhémère cherche le sens des mythes et réduit à des aventures mortelles la théologie nationale, il fait appel à un idéal plus grand que celui d’Homère.

Quand enfin le monde vaincu se range sous la loi de Rome, que la Grèce est devenue une province du grand empire, le monde anéantit Homère, non-seulement dans son idée, mais jusque dans sa raison.

Homère disparu, la Grèce littéraire et artistique s’évanouit. Que parle-t-on ici de décadence ? Un cycle nouveau va commencer : gloire éternelle à celui qui le premier comprit cette immense révolution !

Magnus ab integro sæclorum nascitur ordo.

D’abord, une épopée nouvelle est indispensable : le monde, en entrant dans l’unité romaine, n’a pas cessé d’être épique. Qui la donnera, cette épopée ? La Grèce ? Elle n’est plus à la hauteur ; elle ne peut d’ailleurs se démentir. La Grèce est fédéraliste ; l’empire est unitaire. L’initiative est ôtée à la Grèce. Elle-même, aussi bien que l’Asie, l’Égypte, la Gaule, l’Afrique, l’Espagne, vient de recevoir la parole latine : à Rome seule appartient de chanter le chant nouveau, comme de dire le nouveau droit.

Virgile n’était pas né que la sévère Clio, la plus puissante des Muses, à peine connue d’Homère, avait dit à ce paysan de la Gaule cisalpine : Tu seras le chantre du Capitole. N’est-ce pas tout, pour un poëte épique, que d’être une nécessité de sa nation, une nécessité du monde ?

Il s’agit maintenant de voir comment Virgile a compris sa mission fatidique, avec quelles ressources il a saisi la tâche immense. Son poëme est resté inachevé : comme s’il eût perçu l’ineptie des commentateurs, il avait ordonné par son testament qu’on le brûlât. Il pouvait arriver pis : Virgile pouvait mourir dix ans plus tôt, l’épopée latine tomber en partage à un Lucain, à un Stace : quel argu-