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Or, l’amour de la nature ne passe pas, croyez-moi, avec la mythologie, pas plus que le sens moral ne s’éteint avec la prière dans le cœur du philosophe, pas plus que le culte de la beauté ne se flétrit en présence du cadavre dans l’âme de l’anatomiste.

Quand M. de Humboldt mesurait le Chimboraço, croyez-vous que ce chiffre de 6,000 mètres, — une lieue et demie, pas davantage, — détruisit en lui le sentiment de l’infini qu’il éprouvait à la vue des Cordillères ?

Quand Linnée, de Jussieu, par une patiente analyse, inventaient leurs classifications, pensez-vous qu’ils restassent insensibles à cette beauté impérissable qui, à chaque printemps, éclate avec tant de profusion dans les végétaux ?

Tous ces hommes, je vous le dis, Monseigneur, sont amants, ils sont idolâtres ; et c’est parce qu’ils sont idolâtres qu’ils sont moraux ; c’est parce qu’ils ont commencé par l’idolâtrie qu’ils ont porté si haut le culte de la science, et que l’humanité reconnaissante les place à leur tour parmi les génies et les dieux.

Mais vous, iconoclaste par principe, insulteur des formes éternelles, blasphémateur d’idées, brûleur de livres, comment pourriez-vous reconnaître cette consanguinité de l’homme et de la nature, condition nécessaire, premier degré de toute moralité ?

Car si, comme je l’ai dit au commencement de ce chapitre, il n’y a pas communauté d’essence entre l’homme et le monde ; si notre âme, radicalement distincte de la matière, doit être conçue comme chose simple, et par conséquent amorphe, dont le mouvement en tous sens est l’unique attribut, il s’ensuit que l’homme, réduit à la liberté pure, ne doit se laisser conditionner par aucune loi ; que, comme Dieu même, qui, avant de produire par sa toute-puissance la matière de l’univers, en avait pro-