Page:Proudhon - De la justice dans la Révolution et dans l’Église, tome 2.djvu/538

Cette page a été validée par deux contributeurs.

elle dit : non ; — aux lois du monde et de la pensée qui l’obsèdent : non ; — aux sens qui la sollicitent : non ; — à l’amour qui la séduit : non ; — à la voix du prêtre, à l’ordre du prince, aux cris de la multitude : non, non, non. Elle est le contradicteur éternel, qui se met en travers de toute pensée et de toute existence ; l’indomptable insurgé, qui n’a de foi qu’en soi, de respect et d’estime que pour soi, qui ne supporte même l’idée de Dieu qu’autant qu’il reconnaît en Dieu sa propre antithèse, toujours soi.

Mais, malgré cette allure critique, exterminante, la liberté, nous le savons, est une puissance d’affirmation autant que de négation, de production autant que de destruction : c’est le moi qui, se posant dans sa suprématie, entreprend, pour sa félicité absolue, de réaliser dans la matière, dans la vie et dans l’esprit ce que ni la matière, ni la vie, ni l’esprit, consultés séparément, ne lui sauraient donner, mais ce que sa nature synthétique lui permet de concevoir, l’absolu.

XXXIX

La question du libre arbitre est tout à la fois le sphinx, le nœud gordien, les Thermopyles et les colonnes d’Hercule de la philosophie.

Si le lecteur juge que l’énigme est définitivement résolue, le nœud dénoué, le pas franchi, le but touché, les objections ressassées depuis deux ou trois mille ans contre la liberté n’auront plus rien qui l’arrête.

Objection. L’homme est sensation-sentiment-connaissance, ou, suivant le vieux style, matière, vie, esprit. Sous chacun de ces points de vue, tout en lui est prédéterminé, fatal. Comment ce triple fatalisme peut-il produire la liberté ?

Réponse. C’est une loi de la création qu’en toute collectivité la résultante diffère essentiellement en qualité