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nique d’une civilisation libérale : elle ne supporte rien de plus.

Pour garantir à ses conceptions politiques et économiques le respect dont elles ont besoin, et sans lequel l’ordre social ne lui paraîtrait pas assuré, le libre arbitre établit encore un système de croyances et de pratiques pieuses, susceptible aussi d’une grande variété de formes, mais qui, remplaçant la Justice par une idole, n’est toujours que du fatalisme, et le plus redoutable de tous, puisqu’il est le produit de la conscience commune, le fils de la liberté publique. — Eh bien ! voici que la foi s’en va ; la religion est niée : avec elle s’écroulent toutes les prétendues synthèses transcendantales. Par quoi ce fatalisme sera-t-il remplacé ? Par rien ; je me trompe.

Sous le régime de piété, la Justice était demeurée incomplète, équivoque, pleine d’obscurités et de contradictions. Maintenant elle secoue, avec le mystère qui ne la protège plus, le pyrrhonisme qui l’étouffe ; elle apparaît sans voiles, ne traînant à sa suite ni jougs ni chaînes, ne réclamant ni profession de foi ni raison d’État. À la place du sceptre et du trône, de la croix et de la tiare, elle dresse sa balance, la balance de la liberté, libra, libido, libertas.

C’est ce sentiment profond, antiorganique, anarchique, de la liberté, sentiment plus vif de nos jours qu’il ne se montra jamais parmi les hommes, qui a soulevé, dans ces dernières années, la répugnance universelle contre toutes les utopies d’organisation politique et sociale proposées en remplacement des anciennes, et qui a fait siffler les auteurs de ces plans de fatalisme, Owen, Fourier, Cabet, Enfantin, Aug. Comte. L’homme ne vont plus qu’on l’organise, qu’on le mécanise. Sa tendance est à la désorganisation, à la défatalisation, si j’ose ainsi dire, partout où il sent le poids d’un fatalisme ou d’un