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que la faculté juridique, comme l’amour lui-même, exige du sujet, pour son plein exercice, certaines conditions de développement hors desquelles elle est comme endormie ; quant aux exceptions individuelles, outre que les sujets se méconnaissent le plus souvent eux-mêmes, elles ne prouvent pas plus contre la réalité de la Justice que l’oblitération de la mémoire chez certains malades, la privation de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, ne prouvent contre l’existence des mêmes facultés dans le genre humain.

Oui, l’exercice du sens moral, de la fonction juridique, est lent à s’établir dans l’humanité : qui ne voit que c’est précisément afin de suppléer à cette lenteur que la nature crée en nous cette autre conscience tout idéale, d’autant plus vive dans le sujet qu’il se rapproche plus de l’enfance, le respect divin, la religion ?… Niera-t-on aussi que la religion ait son foyer dans une action particulière de l’âme, et n’y verra-t-on encore que le produit de notions erronées, à l’inverse de la science, qui est le produit de notions exactes ?

Je crois superflu de réfuter ici de pareilles opinions, dont la science elle-même a fait justice. Il est admis partout aujourd’hui, et la phrénologie la plus matérialiste le reconnaît, que la religiosité est un attribut de l’âme, un mode de son activité, ce que j’appelle une fonction ; tout ce que je prétends, c’est que cette religiosité, sorte de supplément à la Justice, n’est autre chose au fond que la forme première, idéale, objective, symbolique de la Justice, forme qui doit diminuer, s’atrophier, par le progrès de la Justice qu’elle représente. C’est pour cela que les races dont la théologie est la plus savante sont aussi celles qui ont fait le plus de progrès dans le droit : il suffit de nommer Rome, l’Italie, la France et l’Allemagne. C’est parce que la France fut jadis très-chrétienne qu’elle est devenue la France révolutionnaire.