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l’âme la Justice, vous la rendez acéphale : ce n’est plus l’essence d’un homme, c’est l’essence d’une bête, une contradiction.

Non-seulement donc la conscience existe en nous comme toute autre faculté, nécessitée par son objet et s’accusant par son action ; elle est la faculté souveraine que toutes les autres sont appelées à servir, comme les membres du corps servent le cerveau, tandis qu’elle-même n’en sert aucune. Par son commandement absolu elle refoule toute exorbitance, assure le sujet contre les injures qu’il peut souffrir, d’un côté de la fougue de ses sens et de ses passions, d’autre part de l’incursion de ses semblables, en même temps qu’elle garantit ceux-ci des injures que ce même sujet pourrait leur faire. C’est une voix qui plaide en nous contre nous-mêmes le droit du prochain, dès que notre égoïsme fait mine de le méconnaître ; voix qui fait taire toutes les suggestions de la sensibilité, de la convoitise, de la sympathie, du sang même et du cœur. L’offense à la Justice couvre l’offense à tout autre sentiment.

Voilà pourquoi, si mon père voulait me faire violence, je tuerais mon père, malgré mon instinct filial, et je ne pécherais pas contre la Justice ; si mon fils trahissait la patrie, j’immolerais mon fils, comme Brutus, et je ne pécherais pas contre la Justice ; si ma mère, parjure, assassinait mon père, pour introduire dans la famille un amant, je poignarderais ma mère comme Oreste, et je ne pécherais pas contre la Justice.

La Justice est plus haute que l’affection qui nous attache à père, mère, femme, enfant, compagnon. Elle ne nous empêche pas de les aimer ; elle nous les fait aimer d’une autre manière, en vue de l’Humanité. C’est pour cela que la Justice a été faite Dieu, et que celui qui a renoncé à Dieu adore toujours la Justice, bien qu’elle ne