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VII

Il est certain qu’à s’en tenir aux expositions de principes et aux professions de foi des partis, écoles, sectes ou églises sortis du mouvement de 89, il est impossible de trouver à ce mouvement ombre de logique et de moralité. Le style a changé, le fond des choses a été conservé précieusement. Au droit divin a succédé la souveraineté du peuple ; à la noblesse féodale, la bourgeoisie actionnaire, censitaire : quel bénéfice pour l’égalité ? Reste l’Église, dont, après l’avoir dépouillée de ses biens, on convoite le budget et l’influence. Quel progrès pour les mœurs, pour les idées, quand les mystiques du jour se seront partagé cette proie ? Quel triomphe sur la superstition, quand, au lieu des jésuites, la religion aura pour prêtres des jacobins, des saint-simoniens, des éclectiques ? Pour le surplus, la tradition antique n’a pas même été un seul instant révoquée en doute. La centralisation monarchique a été croissante ; la police a fleuri de plus belle ; le machiavélisme s’est rajeuni. La multitude est restée dans la même vileté et contemption. L’égalité, enfin, mot du guet en 93, l’égalité, qui ne fut jamais dans les cœurs, est désavouée par toutes les bouches : elle est devenue propos séditieux et signe de réprobation.

Relativement au travail, la mystification ne serait pas moins complète.

La théorie de la liberté négative, ou du laissez faire laissez passer, qui forme toute la philosophie de l’École, aboutit forcément à une contradiction. Il est clair, en effet, et les faits qui se passent sous nos yeux le démontrent, que, si le travail, si l’organisme économique tout entier, après avoir été délivré de ses entraves, est livré ensuite, comme le veulent les disciples de Smith et de Say, aux attractions de sa nature, le travail, après