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parce que je suis un génie insoumis, rebelle à la religion et ennemi de la société.

Paresse, inconduite, esprit de révolte : voilà mon portrait. Or, appliquez la formule à la masse des ouvriers, et vous aurez le mot de l’apologue. Sous le nom d’un seul, c’est le portrait de toute la catégorie.

Il n’entre pas dans mon plan de faire le panégyrique des classes laborieuses ; je préférerais de beaucoup faire leur critique…. Je n’ai pas non plus envie d’entonner un dithyrambe sur le travail et ses magnificences ; je laisse ce soin à nos poëtes. Nous avons eu coup sur coup l’Exposition anglaise et l’Exposition française ; le monde a retenti des gloires de l’industrie et de l’agriculture. Quelle vérité pourrait sortir de ces amplifications rebattues ?

Par le travail, bien plus que par la guerre, l’homme a manifesté sa vaillance ; par le travail, bien plus que par la piété, marche la Justice ; et si quelque jour notre agissante espèce parvient à la félicité, ce sera encore par le travail.

Ces quelques mots suffisent. Passons, sans autre compliment, à la véritable question, que je formule en ces termes :

La condition du travailleur, dans la société religieuse, est une condition d’infériorité ; le travail lui-même est le signe de l’infériorité, le compagnon de la pauvreté, le sceau de la dégradation.

D’où vient cela ? C’est que, comme la loi de justice n’a jamais reçu son application, ni dans l’ordre économique, ni dans l’ordre politique, ni dans la pédagogie, elle ne l’a jamais reçue non plus dans le travail.

Sans cela, si justice était faite au travail, la condition du travailleur serait intervertie : d’inférieur il deviendrait maître ; de pauvre il serait fait riche ; de condamné il passerait noble.