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rait-il le moribond avec sa face de squelette ? Vides d’amour et de vertu nous arrivons à la fin de la journée, vides il faut nous endormir : est-il surprenant qu’à la place des joies de la plénitude, nous ne trouvions que l’agonie de la faim ?

LV

Fûtes-vous jamais, Monseigneur, témoin d’une belle mort ? Écoutez encore ce récit ; il ne s’agit ni d’un héros, ni d’un génie, mais d’un pauvre artisan, race pure de libres penseurs, qui finit dans la communion révolutionnaire comme jamais chrétien ne sut faire dans celle de l’Église :

Mon père, à soixante-six ans, épuisé par le travail, en qui la lame, comme on dit, avait usé le fourreau, sentit tout à coup que sa fin était venue. Jamais, je dois le dire, je ne remarquai en lui une parole, un geste, qui témoignât d’impiété pas plus que de dévotion. Il ne priait et ne blasphémait point, tout entier à ses affaires, n’attendant rien que de son travail, et n’importunant de ses sollicitations ni le ciel ni les hommes. Quelquefois aux grandes solennités, je l’ai vu faire comme tout le monde, aller à la messe : il s’y ennuyait, n’y comprenant rien, aussi étranger à la chose qu’un sourd-muet. Si le prêtre montait en chaire, il n’y tenait plus, et, sans rire ni faire aucune réflexion, il sortait vite. À coup sûr, le poids de ses dévotions était léger.

Le jour de sa mort, il eut, chose qui n’est pas rare, le sentiment arrêté de sa fin. Alors il voulut se préparer pour le grand voyage, et donna lui-même ses instructions. Les parents et amis sont convoqués ; un souper modeste est servi, égayé par une douce causerie. Au dessert, il commence ses adieux, donne des regrets à l’un de ses fils mort dix ans auparavant, mort avant l’heure.