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dividu pris au hasard, que cet homme est né pauvre, de parents à l’humeur entreprenante, raisonneuse, insoumise, sarcastique, comme on en trouve aujourd’hui partout, il vous répondra en hochant la tête que c’est une bouture de 93, que certainement Dieu ne l’aime pas.

Né au plus épais de ce limon révolutionnaire, je devais donc avoir reçu une éducation en rapport avec mon origine, avec le sang rustique qui coule dans mes veines, avec cet esprit de critique qui a fait de mes auteurs et collatéraux des liseurs de Codes, qui ferait bientôt de la nation tout entière une société de démons, si les Ignorantins n’y mettaient ordre.

« C’était chaque jour (chez mon père) un concert d’imprécations contre la Providence, contre la société, contre les hommes. »

Ainsi l’affirme M. de Mirecourt, et je ne doute pas qu’il n’ait puisé ses renseignements à bonne source.

Ma foi, s’il faut vous dire la vérité, Monseigneur, nous faisions encore pis, ne pensant guère plus à la Providence que nous ne comptions sur la société ; et vous savez que l’indifférence en matière de religion est bien autre chose que le blasphème. Je l’avouerai donc, on pratiquait chez nous avec tiédeur ; mais si tiède qu’elle fût, cette pratique pouvait paraître encore méritoire, tant on en attendait peu de chose. Mais on n’était pas ce qui s’appelle blasphémateur, incrédule ; on avait la foi du charbonnier ; on aimait mieux s’en rapporter à M le curé que d’y aller voir. « La religion, disait mon oncle Brutus, est aussi nécessaire à l’homme que le pain ; elle lui est aussi pernicieuse que le poison. » J’ignore où il avait attrapé cette sentence antinomique, dont je n’étais pas alors en état d’apprécier la valeur. Mais je sais fort bien que, tout en acceptant le pain, sans nous enquérir de la farine, nous avions grand’peur du poison, ce qui nous tenait perpé-