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son de cette pratique pieuse dans le sentiment que j’éprouvais, que toute crise de la nature est un écho de ce qui se passe dans l’âme de l’homme.

Ainsi s’est faite mon éducation, éducation d’un enfant du peuple. Tous ne jouissent pas, j’en conviens, de la même force de résistance, de la même activité investigatrice ; mais tous sont dans les mêmes dispositions. C’est ce contraste de la vie réelle suggérée par la nature, et de l’éducation factice donnée par la Religion, qui a fait naître en moi le doute philosophique, et m’a mis en garde contre les opinions des sectes et les institutions des sociétés.

Depuis, il a bien fallu me civiliser. Mais l’avouerai-je ? le peu que j’en ai pris me dégoûte. Je trouve que dans cette prétendue civilisation, saturée d’hypocrisie, la vie est sans couleur ni saveur ; les passions sans énergie, sans franchise ; l’imagination étriquée, le style affecté ou plat. Je hais les maisons à plus d’un étage, dans lesquelles, à l’inverse de la hiérarchie sociale, les petits sont guindés en haut, les grands établis près du sol ; je déteste, à l’égal des prisons, les églises, les séminaires, les couvents, les casernes, les hôpitaux, les asiles et les crèches. Tout cela me semble de la démoralisation. Et quand je me rappelle que le mot païen, paganus, signifie paysan ; que le paganisme, la paysannerie, c’est-à-dire le culte des divinités champêtres, le panthéisme rural, est le dernier nom sous lequel le polythéisme a été vaincu et écrasé par son rival ; quand je songe que le christianisme a condamné la nature en même temps que l’humanité, je me demande si l’Église, à force de prendre le contre-pied des religions déchues, n’a pas fini par prendre le contre-pied du sens commun et des bonnes mœurs ; si sa spiritualité est autre chose que la combustion spontanée des âmes ; si le Christ, qui devait nous racheter, ne se trouve pas plutôt nous