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le devoir dont la collectivité lui imprime le stigmate, il est tenu de sortir du cours naturel de ses mœurs par respect pour une moralité invisible, anonyme ? Eh quoi ! l’on nous présente la Justice comme le second terme de la morale, et voici qu’elle est la négation de la vie même !

L’ensemble de ces questions compose le problème de la Justice, qui n’est autre que le problème de la société tout entière.

Depuis que l’homme s’est uni à l’homme pour la commune défense et la recherche des subsistances, ce problème terrible est posé, et la solution ne semble pas plus avancée que le premier jour. Les révolutions se succèdent ; les religions, les gouvernements, les lois changent : et l’on ne saurait dire lequel a fait plus de mal à la société, de sa croyance à la Justice ou de sa persévérance dans la révolte. Comme aux siècles d’initiation, les esprits rêvent de droit, d’égalité, de paix. Mais ce n’est toujours qu’un rêve. La vérité ne s’est point montrée ; la maxime de l’intérêt propre, à peine adoucie par la croyance aux dieux et par la terreur des supplices, gouverne le monde ; et si les mœurs de l’humanité se distinguent jusqu’ici de celles des bêtes, c’est par une hypocrisie d’équité et de fraternité dont leur bêtise du moins les rend incapables.


V


Du reste, la conception de la Justice, en tant que subordination de l’égoïsme à l’intérêt collectif, n’est nullement, comme quelques-uns l’ont prétendu, un préjugé d’éducation, une fiction du fanatisme ou de l’autorité. Elle est inhérente à la condition sociale et résulte de la nature même des choses.

L’homme est un animal sociable, le plus sociable de tous les animaux. Il ne peut se développer et vivre autrement qu’en société. On ne dispute plus aujourd’hui de