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légitimement égoïste, très-capable de se dévouer par amour et par amitié, mais rebelle à la contrainte, comme il convient à tout être libre et digne. Il s’agit de savoir s’il donnera son consentement à cette subordination dont on lui fait une loi, s’il est même possible qu’il le lui donne : car il est évident que sans consentement, point de Justice.

Qui dira le droit ? qui formulera le devoir ? qui parlera pour la société ? qui fera la part de l’individu ? Au nom de qui ou de quoi se présentera cette Justice, soi-disant souveraine, qui à l’occasion exige l’abandon de la félicité ? Comment la faire reconnaître, accepter, saluer ? Qui en définira les préceptes ? Qui se chargera de les faire exécuter ? Quelles seront les compensations offertes à l’amour-propre ? Bien plus, comment, sous cette loi qui ne procéderait plus de son individualité pure, l’homme pourrait-il être encore vertueux ou lâche, coupable ou repentant ? Comment serait-il moral ? On conçoit très-bien le remords, procédant du péché contre soi-même : que sera-t-il, né de la désobéissance à une loi factice, adventice, étrangère, toute de raison, la Justice ? Qui s’arrogera le droit de punir, même en alléguant le bien du coupable, le soin de son âme, le salut de sa dignité ? Quel accord possible entre ces deux termes, la société et le moi ? Et si l’accord est impossible, si la société doit toujours, nécessairement, même sans compensation, prévaloir, que devient l’individualité, obligée de s’effacer, d’abdiquer ? Ne vaut-il pas mieux alors, pour les pauvres humains, la guerre avec l’égoïsme, que la paix sous le régime du droit ? La force du moins est héroïque et belle, elle ne déshonore pas le vaincu : tandis que le comble de la honte est l’arbitraire. Que vont devenir, sous ce régime de Justice, la liberté, l’audace, le génie entreprenant, toutes nos manifestations les plus généreuses, sans lesquelles notre existence n’est plus rien ? Comment dire qu’un sujet existe, quand, par